
Prendre soin du patrimoine immobilier : vers une politique axée sur la société actuelle

Cathy Cardon
La préservation du patrimoine immobilier s’est longtemps concentrée sur la préservation matérielle. IDEA Consult a géré deux études visant à aider l’Agence Flamande du Patrimoine Immobilier à opérer une transition : passer d’une approche centrée sur la préservation matérielle, à une approche tenant en compte la société actuelle. Nous résumons ci-dessous les principales conclusions.
Un changement de paradigme : le préservation du patrimoine immobilier vus sous un angle différent
La première étude, datant de 2022, a examiné les méthodes de travail actuelles de la gestion du patrimoine, avec l’ambition de parvenir à une nouvelle angle pour soutenir la gestion du patrimoine immobilier.
Dans le cadre de cette étude, nous avons étudié l’évolution des chartes internationales et européennes et examiné quatre références internationales qui appliquent des politiques du patrimoine immobilier différentes de celles en Flandre : la Suède, l’Écosse, les Pays-Bas et le Danemark. Nous avons testé ces idées dans le contexte flamand en organisant des groupes de discussion avec diverses parties prenantes.
Protéger et subventionner font partie de l’ADN de la politique flamande du patrimoine immobilier. Depuis la Charte de Venise de 1964 , la vision de l’entretien du patrimoine immobilier repose principalement sur des motifs intrinsèques : le désir de préserver et, si possible, de restaurer les valeurs matérielles et historico-culturelles du patrimoine immobilier.
Même considérables, les fonds disponibles pour l’entretien du patrimoine immobilier sont faibles dans la vue que ce qui est nécessaire pour soutenir l’ensemble du patrimoine de valeur en Flandre. En outre, le contexte social a considérablement évolué depuis 1964. Afin de mieux prendre soin du patrimoine immobilier, il est important de pouvoir conclure des nouvelles alliances avec d’autres parties qui ne partent pas nécessairement des mêmes motivations, mais qui souhaitent tout de même contribuer à l’entretien du patrimoine immobilier.
Au cours des dernières décennies, on a donc progressivement accordé plus d’attention et d’espace à d’autres motifs : la construction de communautés et le souvenir, les valeurs symboliques et philosophiques, l’éducation et l’expérience, l’habitation et l’exploitation commerciale, … Cependant, en Flandre le soutien et le financement ont suivi cette évolution que dans une mesure limitée, et sont encore largement basés sur les principes de base de la Charte de Venise.
La recherche a débouché sur une proposition de quadruple changement de paradigme, qui a depuis été adoptée comme ligne directrice par l’Agence flamande du patrimoine:

Les idées clés sous-jacentes à ce changement de paradigme sont les suivantes :
- Un site patrimonial n’est pas un objet isolé, mais un lieu situé dans un contexte spatial et social, et donc en relation avec un environnement changeant. Les lieux patrimoniaux sont des phares dans un paysage en évolution, et des lieux dont les gens veulent faire un usage évolutif et/ou auxquels ils veulent donner une signification changeante.
- L’entretien du patrimoine est idéalement important pour de l’ensemble de la société. Mais si l’on veut que la société contribue à son entretien, il faut aussi faire place à d’autres motivations, raisonnements et stratégies que ceux purement patrimoniaux. En effet, les motivations personnelles et communautaires, les considérations utilitaires, économiques et écologiques peuvent également être des raisons de vouloir (aider à) prendre soin du patrimoine. La manière dont nous voulons prendre soin de notre patrimoine nécessite un dialogue plus approfondi sur l’équilibre souhaité entre ces motivations, y compris par rapport à l’ensemble du patrimoine et aux considérations locales. Les motivations liées au patrimoine sont toujours dans la balance..
- Le fonctionnement actuel de l’Agence offre en partie un espace pour une perspective sociale sur le patrimoine immobilier, mais il n’encourage pas encore systématiquement cette perspective. Pour ce faire, l’Agence souhaite passer du rôle de gardienne des valeurs patrimoniales à de nouveaux rôles : celles de phare, d’accompagnateur et de partenaire co-créatif, dans un modèle de réseau avec de nombreux partenaires. L’Agence souhaite revisiter ses instruments à partir de cette nouvelle perspective.
À quoi pourrait ressembler ce changement de paradigme souhaité dans la pratique ?
La deuxième étude d’IDEA Consult, qui porte sur la période 2024, s’appuie sur ce changement de paradigme. L’accent a été mis sur l’exploration de nouveaux modèles et principes de coopération pour l’entretien du patrimoine immobilier, avec un accent particulier sur la relation avec les gouvernements locaux.
En Flandre, les gouvernements locaux jouent un double rôle dans l’entretien du patrimoine immobilier : d’une part, elles possèdent et gèrent elles-mêmes un patrimoine important ; d’autre part, elles jouent également un rôle dans le suivi politique du patrimoine immobilier situé sur leur territoire appartenant à d’autres acteurs. Une analyse du patrimoine et des caractéristiques des gouvernements locaux, ainsi qu’une analyse des subventions au patrimoine entre 2015 et 2023, ont révélé ce qui suit :
- La Flandre possède un patrimoine immobilier important : plus de 13.000 objets protégés (dont plus de 11.000 sont des monuments et, dans une moindre mesure, des paysages historico-culturels, des vues de villes et de villages, de l’archéologie et du patrimoine nautique). A cela s’ajoutent plus de 75.000 objets identifiés : ils sont désignés comme précieux mais ne sont pas (encore) protégés.
- Ce patrimoine est très inégalement réparti entre les administrations locales. Le poids du patrimoine est souvent disproportionné par rapport à la capacité de charge de ces administrations : les petites villes et municipalités ont souvent des capacités financières et humaines limitées, mais dans les grandes villes, la concentration du patrimoine est telle qu’elles aussi atteignent leurs limites.
- Le financement flamand accordé est insuffisant pour préserver ce patrimoine précieux et le transmettre dans un état adéquat aux générations futures. Dans la pratique, ces fonds sont déjà combinés aujourd’hui avec des fonds provenant d’autres acteurs (gouvernements locaux, acteurs privés, etc.), mais l’empilement nécessaire des fonds ne se fait souvent pas sans heurts : les fonds ne sont pas trouvés, ou pas à temps, ce qui entraîne des retards, voire l’arrêt des projets, et pendant ce temps, les coûts continuent d’augmenter.
Comment l’Agence flamande du patrimoine pourrait-elle relever ces défis ? Pour ce faire, nous nous sommes à nouveau penchés sur les leçons tirées des références de la première étude, en particulier l’Erfgoeddeal aux Pays-Bas et les Zones patrimoniales au Royaume-Uni, dont vous pouvez voir une vidéo intéressante ici. Une série de trois ateliers a permis d’explorer les opportunités et les défis pour l’avenir avec un groupe mixte de parties prenantes, dans lequel divers gouvernements locaux et le personnel de l’Agence flamande du patrimoine ont engagé le dialogue. Le concept de programme d’impulsion qui en a résulté montre comment l’Agence flamande du patrimoine peut mettre en pratique le changement de paradigme souhaité. Le programme d’impulsion est un concept. En tant qu’expérience ou test, il ne peut évidemment pas répondre à tous les défis sur le terrain, mais il montre comment le soutien peut être façonné à partir de nouveaux principes. Il comprend les cinq éléments clés suivants :
- Partir des besoins sociaux, plutôt que de la typologie patrimoniale
Le point de départ n’est pas le patrimoine lui-même, mais la conception de quartiers et de districts vivants et solidaires. Dans ces quartiers, le patrimoine immobilier est un levier pour le développement de la zone, tout en étant lui-même développé. En termes de contenu, deux priorités largement soutenues ont été retenues : d’une part, le patrimoine comme lieu de lien social, à la fois sur le plan social (ex : lieux culturels, salles des fêtes, etc.) et sur le plan économique (restauration, commerce de détail, etc.). D’autre part, le patrimoine en tant que lieu de vie et de soins, avec une attention particulière portée, entre autres, aux nouvelles typologies de logement et de soins, à l’espace pour les professions de soins et la garde d’enfants, …
2. Rechercher des solutions durables à long terme
La gestion du patrimoine qui recherchent des solutions durables à long terme doivent trouver un équilibre entre trois formes de durabilité : sociale, économique et environnementale.
- Par durabilité sociale, nous entendons le développement de visions et d’interprétations socialement pertinentes en co-création à partir de différentes perspectives, en tenant compte de la capacité de charge du patrimoine.
- La viabilité financière signifie que l’on s’efforce d’assurer la viabilité financière des projets d’investissement et des projets récurrents (exploitation et maintenance), en recourant au cofinancement lorsque cela est utile et possible, et en utilisant le financement du patrimoine immobilier comme levier pour obtenir l’adhésion d’autres financiers.
- La durabilité écologique signifie à la fois un choix de matériaux durables et potentiellement circulaires, des solutions énergétiques contemporaines et ‘un entrelacement bleu-vert’ des zones de projet (eau et verdure) qui a des effets positifs sur le bien-être de diverses manières (par exemple, îlots de chaleur, etc.).
3. Une meilleure collaboration et une meilleure exécution
Une mise en œuvre plus efficace, meilleure et plus rapide des projets patrimoniaux avec de multiples parties prenantes.
- Renforcer la réflexion à multiples voix sur l’utilisation durable et l’entretien du patrimoine protégé. En partant de différents points de vue, le but est de parvenir à des visions communes pour les sites patrimoniales, et au même temps à un soutien et des règles harmonisés du côté gouvernementale.
- Mettre les visions en pratique: inclure dans le programme un soutien à la vision ainsi que pour le développement des projets connectées.
- S’efforcer d’obtenir un cofinancement et un financement cumulé de la part de diverses autorités publiques et de partenaires privés. Ceci dans une optique de restauration et de rénovation, mais aussi d’exploitation. Grâce à une nouvelle approche, le but est que le financement du patrimoine par l’Agence fonctionne comme un levier pour obtenir l’adhésion d’autres financeurs.
4. Plus d’autonomie pour le niveau local
Les nouveaux instruments devraient tenir compte du changement de rôle et de l’évolution souhaités tant au niveau de l’Agence que des gouvernements locaux et des parties prenantes locales.
- Cela implique que, par exemple, l’Agence flamande du patrimoine se contente pas de donner des directives, mais participe activement aux discussions pour trouver des solutions ensemble.
- Cela signifie également un plus grand pouvoir de décision sur le choix des projets prioritaires avec les gouvernements locaux, en considérant à la fois les projets publics et privés.
5. Apprentissage pratique, partage des connaissances et sensibilisation
L’exploration de nouvelles méthodes de travail exige que l’on s’attache à soutenir l’apprentissage du processus, et pas seulement du résultat.
- Recueillir l’avis des praticiens peut permettre d’optimiser le soutien et la réglementation.
- Pour parvenir à un modèle de réseau, il est souhaitable d’interconnecter les connaissances et la compréhension par le biais de réseaux patrimoniaux ancrés localement. En renforçant le rôle des Offices intercommunaux du patrimoine et des Municipalités du patrimoine en tant que pôle central de ces réseaux.
- Il est tout aussi important de renforcer la prise de conscience du potentiel social du patrimoine parmi les acteurs locaux, notamment les responsables politiques, les services municipaux, les structures régionales, les entrepreneurs et les citoyens.
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