Taxe Carbone et construction circulaire |
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Le 13 décembre 2022, l'Union Européenne a voté l'application, à partir du 1er octobre 2023, de la taxe carbone aux frontières. Concrètement une série d'activités émettant d'importants gaz à effet de serre (dont la production de ciment, de vis et du boulons par exemple) ne pourront plus vendre leurs produits en Europe sans payer une taxe pour compenser leur impact environnemental. Le 18 décembre 2022, l'Union Européenne a également acté la fin progressive des quotas carbone pour diverses industries, notamment celle de la construction, qui produisent en Europe.
Que vont changer ces deux décisions qui paraissent à priori loin de notre marché de consommation ? Pratiquement tout si elles s'appliquent entièrement. L'adaptation à ces décisions européenne constitue donc un enjeu majeur pour des industries comme celle de la construction et une opportunité immense pour développer une approche circulaire.
Nous accompagnons depuis plusieurs années les acteurs publics et privés dans leurs réflexions sur la transition circulaire de leurs activités. Parmi les principaux freins identifiés par les acteurs (outre l’information) se trouve en tête de liste le prix supérieur d’un matériau et de manière plus générale d'un projet construction quand il est circulaire. Et ceci alors même qu'une part très faible des clients est prête à payer ce surcoût, d'autant moins dans un contexte d'inflation. Autant dire que dans ces conditions, développer le concept de circularité dans la construction s'avère très délicat.
Les deux décisions européennes vont fortement changer la donne à plusieurs titres :
- Elles vont influencer les marchés du carbone et imposer aux entreprises de payer pour leurs émissions de GES. Une tonne de ciment produite émet aujourd'hui pour des productions standards mondiales 1 tonne de CO2. Le prix du CO2 est déjà passé de moins de 30 €/t avant 2020 à environ 90 €/t en 2022. Cette évolution est très fortement influencée par la règlementation qui suit la prise de conscience environnementale de nos sociétés. Avec la fin des quotas d'émission de carbone, les industries devront intégrer ces coûts (et leurs variations) à leurs business modèles. Est-ce que leurs clients, seront prêts à payer ces surcoûts ? Probablement pas. Deux options s'ouvriront alors pour les entreprises :
- Se tourner vers des sources décarbonées, des matériaux biosourcés ou décarboner la production de ciment comme le font déjà des cimentiers comme Hoffmann Green Cement en Vendée[1] ou Materrup en Aquitaine[2] par exemple. Ceci pour maintenir une offre en logement acceptable face à une demande qui elle ne tarira pas. Rappelons le manque important de logement de qualité pour une population européenne encore mal logée pour un tiers[3] ;
- Cibler les matériaux les plus émetteurs de carbone et les remplacer par des matériaux issus du réemploi qui émettent moins de GES que ne le font les matériaux neufs d’une part et qui préservent les ressources d’autre part. Cette approche deviendra d'autant plus importante que les prix du carbone augmenteront et qu'en parallèle les quotas diminueront. Il faudra donc trouver des solutions pour créer des voiles de béton réutilisables en déconstruction plutôt que des dalles solidaires qu'il faudra démolir. Ce sera également le cas pour les éléments du bâtis comme les plaques de plâtre, les moquettes, les parquets... Si des pilotes sont aujourd'hui en cours par des entreprises innovantes (Saint Gobain, DESSO, Knauf…), l'approche devra devenir "main-stream" pour les entreprises, au risque pour celles qui ne s'adaptent pas de simplement disparaitre.
- La comparaison entre produits européens circulaires et produits importés linéaires sera plus favorables aux premiers. Pour les matériaux circulaires qui émettent moins de CO2, ces derniers étaient encore comparés aux matériaux linéaires produits ailleurs dans le monde et importés sur les marchés européens. Les informations sur le produit, même si elles sont de plus en plus encadrées, ne permettent pas toujours d’identifier les impacts environnementaux de la société qui l’a fabriqué. Prenons l’exemple du bois et plus particulièrement du parquet : aujourd’hui le m² de parquet circulaire belge coute entre 80-100 €/m² (intégrant dépose, transformation, repose). C’est trop cher par rapport au coût d’un parquet importé d'autres pays moins regardant sur les critères environnementaux. La taxe carbone finira par s'imposer sur ces importations faisant augmenter le prix du parquet importé, qui ne peut démontrer qu'il a suivi les critères similaires à ceux européens. Dès lors, les choix se porteront à nouveaux en faveur de matériaux circulaires et aux approvisionnements locaux. Les acteurs ayant anticipé cette évolution pourront capter ce nouveau marché. Les circuits étant très différents (identification des gisements, transformation avec soutien de l'économie sociale, logistique inverse, stockage décentralisé, nouveaux canaux de distribution…) l'effort sera important pour arriver à se réinventer et répondre à la demande.
- Enfin, pour répondre à la demande constante tout en revoyant complètement l'offre, les importations ne tariront pas mais favoriseront les canaux d'importation les plus décarbonés (et donc les moins chers). Ainsi ces décisions européennes entraîneront également des conséquences sur les chaines d'approvisionnement internationales. Les transports tels que les flux maritimes faiblement émetteurs de carbone seront favorisés. La société TOWT[4] qui développe aujourd'hui des voiliers de grande capacité pour transporter plus de charge avec des émissions carbone réduites anticipe cette logique par exemple. Ainsi le transport ne sera plus un facteur aggravant des émissions carbone mais un levier pour faciliter l'importation de produits sur un marché de plus en plus regardant sur l'impact environnemental des produits qu’il consomme.
Sous la pression règlementaire européenne, seul levier réellement efficace pour intégrer notre impact environnemental, le marché sera donc forcé d'évoluer vers plus de décarbonation et l'économie circulaire sera un des moyens d’atteindre cet objectif. En conséquence, les gisements accumulés en Europe depuis des décennies pourront enfin être revalorisés grâce à la taxation carbone.

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